J’ai eu la chance d’interviewer Erell, artiste-autrice professionnelle (Axolotl JDR en autre autres) pour parler des « particularités » et du jeu de rôle !

AsgardOdin (AO) : Première question : Ta « particularité » comment la définirais-tu ? Est-ce un élément que tu as toujours senti ou que tu as fini par comprendre, appréhender, sur lequel tu as fini par mettre des mots au fur et à mesure ?

Erell (E) : On va découper, parce que ça fait beaucoup de questions d’un coup.
La première, sur comment je la définis, c’est assez rigolo car c’est une chose que je me disais et que j’ai entendu dans la série Monk, tu vois le détective, et il dit que c’est à la fois une bénédiction et une malédiction (moi je disais un cadeau empoisonné mais bon…). J’en tire plein de supers choses mais en même temps c’est un fléau sans bornes. Ça, c’est pour la première partie de la question.
Ensuite c’est un élément qu’on m’a toujours fait sentir, que j’étais pas comme les autres. Je pense que, du fait de ma particularité, j’ai tendance à être très dans ma tête (même petite, enfant), et à partir du principe que la façon dont je fonctionnais était la même pour tout le monde. Ça me paraissait normal car c’était la mienne et chez moi, autour de moi, majoritairement, les personnes étaient dans des profils neuro-atypiques et hyperactifs, des gens qui ne tenaient pas en place. C’est plus le contact avec l’école, les gens du dehors, etc., où j’avais du mal à saisir pourquoi ils ne comprenaient pas ma façon d’être. Je pensais qu’ils devaient fonctionner pareil puisque moi je fonctionnais comme ça. *Rires* Et au fil du temps, je me suis rendu compte, à force de traîner dans des milieux « intellos » et compagnie qui rassemblent beaucoup de gens atypiques, que ce soit Wikipédia ou autres, et notamment cette dernière décennie, que beaucoup de diagnostics sont tombés autour de moi, dans les amis, les connaissances, les gens avec qui j’avais travaillé, des diagnostics autistes, des diagnostics haut potentiel (mais que j’assimile à des diagnostics autistes), des hyperactivités et donc de plus en plus de personnes concernées qui m’incitaient à mettre le doigt sur des choses. Et au final, la première personne à m’avoir dit d’aller voir ça, que ça allait me parler, c’était une personne proche qui venait de faire des tests et voilà. Et la première réflexion que je me suis faite : Ah mais finalement je suis pas seule ! Toutes ces années où je pensais que les gens fonctionnaient comme moi et qu’on m’a bien fait comprendre que non, où je m’étais retrouvée isolée, et le fait de me rendre compte que c’était pas une bizarrerie, mais une particularité qui concernait plein de gens, ça m’avait beaucoup soulagé.

AO : J’imagine ! Et du coup, maintenant les mots que tu mettrais sur « toi », si on peut mettre des étiquettes, ce qui est toujours compliqué, c’est quoi ?

E : Sur les diagnostics entamés, j’ai la dyslexie en attente, l’hyperactivité et une neuro-atypie Asperger (même si le terme Asperger est pas fifou, ceux qui sont curieux iront regarder l’historique du nom). Après les anglophones ont créé : aspergirl, pour les femmes asperger, qui sonne un peu plus sympa, avec un côté super woman.

AO : Je ne sais pas comment tu es venue à notre loisir, tu me diras peut-être, mais ça s’est montré en adéquation entre tes particularités et le loisir tel que tu l’as connu ? Ou tu t’es dis dès le début que ça n’allait pas le faire ?

E : Il se trouve qu’il y a une autre particularité qui se rajoute, c’est que je suis une femme. Le jeu de rôle, j’en avais entendu parler à l’adolescence, mais c’était un truc obscur, qui avait l’air sympa mais voilà. Les garçons jouaient pas tellement avec les filles, mais j’ai eu la chance d’avoir un copain qui faisait occasionnellement du jeu de rôle et j’ai traîné à l’époque (on va remonter dans les fins fonds, je sais pas si on va pas censurer) sur Caramail, *rires*, le truc qui a fermé il y a 110 ans. J’avais rejoint un groupe qui s'appelait la Taverne des nains. Je pense que c’était majoritairement des rôlistes qui traînaient là, et c’est vrai qu’il y avait une bonne ambiance qui me correspondait bien, et j’ai rencontré des rôlistes par là. j’ai commencé à faire mes premières parties en faisant des IRL avec des gens que je connaissais pas à l’époque où c’était tout nouveau et « très dangereux » de faire des IRL avec des inconnus. Et j’ai eu la chance de tomber sur un MJ qui était dans ma ville, qui était très très cool. Pour la petite anecdote on s’était perdu de vue, j’arrivais pas à remettre la main dessus, et puis c’est lui qui m’a retrouvée par la suite de la première Cyberconv, avec les tables rondes je crois, ou de C’est pas du JDR. Il a déboulé sur le Discord, et j’étais trop contente de dire que c’était mon premier MJ, ça faisait 15 ans qu'on ne s'était pas donné de nouvelles, c’était trop fort !

Du coup, je jouais avec des punks à l’époque, ça donnait une ambiance particulière, mais c’était des parties décomplexées. C’était quelqu’un de très souple, de très fort en impro, donc on pouvait inventer un peu n’importe quoi, laisser plus la place à l’imagination qu’au système.
À l’époque j’étais déjà une plaie du système, la joueuse qui se rappelait jamais des dés à jeter. Ça m’a toujours énervé. Et j’ai arrêté de jouer quand on s’est perdu de vue, j’ai beaucoup déménagé, c’était difficile de faire des tables. Au bout d’un moment, je me suis rendu compte que si je masterisais pas, je jouerais jamais. J’ai donc voulu m’y mettre. Je me suis dis que le Disque-Monde, je connaissais bien l’univers, donc c’était bien. Et là… Gurps… Guuuurps. J’ai vraiment un problème avec les systèmes de jeu, ça ne veut pas, c’est indigeste, j’arrive pas à lire. Je sais pas si c’est une part de l’hyperactivité qui fait que j’ai du mal à me concentrer sur un texte sur la durée, à mémoriser des éléments si je suis pas en train de tout réécrire le jeu, ou la dyslexie qui fait que les gros pavés de textes c’est hyper épuisant, surtout avec des tailles de police en pâté de mouche et des typos mal adaptées. C’est comme ça que je me suis mise à écrire du jeu de rôle, parce que j’arrivais pas avec les jeux du commerce.

AO : Du coup c’est là que l'on retrouve la naissance de ton rôle de créatrice. Tu crées beaucoup de jeux, même liés aux particularités, il y en a plusieurs sur Axolotl. Tout ça c’est lié à ta particularité, tu te sens plus à l’aise avec ce que tu crées.

E : Ce que tu dis là, oui, clairement. Je me sens mieux avec ce que je crée moi-même. Du coup, pour moi, le système est clair et limpide, ce qui est normal puisque je l’ai écrit *rires*. Du coup, je passe beaucoup par la transmission orale. J’ai aussi proposé à d’autres personnes ayant des neuro-atypies de regarder mes systèmes de jeu. Parfois ça chipote un peu, mais généralement personne n’est venu me dire qu’on n’arrive pas à jouer à mes jeux. J’ai une capacité à faire des explications synthétiques, à pas surcharger avec des éléments inutiles comme le jet de dés pour rester quatre heures debout.

Pour le choix des thématiques, c'est venu plus tard. Pour le coup, j’ai commencé à écrire mes jeux pour me donner une accessibilité à moi-même, pour pouvoir faire jouer, et je me suis prise au truc. Et maintenant, au final, je joue très très peu. Ça doit faire quatre ans que j’écris des jeux et je joue peut-être une fois par trimestre, la majorité du temps pour crashtester des jeux de copains, ce qui fait qu’on est surtout en phase de travail, on décortique du game design, etc. Jouer pour jouer, je dois faire une partie ou deux dans l’année.

AO : Et c’est lié à une question de temps ? D’autre chose ?

E : D’horaires déjà, parce que, là aussi, j’ai fait beaucoup de travail avec mes particularités et leur prise en compte, beaucoup de travail sur moi. Notamment le fait que je suis insomniaque depuis l’enfance. J’ai beaucoup travaillé pour arriver à m’endormir. Les parties qui commencent à 20h/21h, quand elles finissent tard, je ne peux pas dormir après. Ça me casse ma nuit, donc le lendemain ma journée est fichue parce que je suis fatiguée. Toutes les parties où la majorité des gens, notamment en virtuel, sont disponibles le soir, c’est impossible. Et j’ai pas de tables physiques, sauf quand je « séquestre » mes ami·e·s pour mon anniversaire et qu’ils sont obligés de jouer. *rires*

Donc les horaires, la majorité du temps, ne conviennent pas pour moi. Et je pense que je m’amuse plus à écrire les jeux qu’à jouer à d’autres jeux. Le fait aussi que sur la neuro-atypie j’ai beaucoup de phobies. Les outils de sécurité émotionnelle, les X-Card et compagnie, c’est une des bases pour faire jouer les neuro-atypiques. J’ai voulu tester l’univers de Thomas Munier qui me tentait énormément parce qu’on est dans une démarche écologique, on se connaît bien lui et moi, on est tous les deux dans un mode de vie alternatif IRL. Et j’avais quand même envie de le tester, mais le côté post-apo ne me branche pas du tout. Il avait fait un système un peu original, un GN en ligne et il y avait des cartes. Et j’ai commencé à X-carder un thème. Puis un autre. Et au troisième j’ai pas osé parce que je me suis dis que j’allais tout X-carder, il y avait aussi d’autres personnes qui jouaient. Je ne voulais pas étouffer la partie dans l'œuf. Et c’est sûr que sur mes jeux, les thématiques proposées sont des thématiques safe, pour moi en tout cas. Donc il y a ça aussi qui joue.

AO : Au final, c’est quoi les jeux sur lesquels tu as pas forcément envie de jouer ?

E : Il y a énormément de jeux sur lesquels j’ai pas envie de jouer et même dans ceux où j’ai envie, je vais faire très attention aux personnes avec qui je vais jouer, qui savent que j’ai des thématiques difficiles et ne vont pas partir sur un terrain glissant pour moi. Là, on a fait Wanderhome par exemple, que j’ai chroniqué pour RadioRôliste la semaine dernière. C’est vraiment tout à fait dans mon type de jeu, quelque chose qui peut être très chill. Mais ça n’empêche pas que ça puisse partir sur des thématiques plus difficiles que je ne veux pas aborder. Donc quand j’ai vu que c’était que des nanas inscrites à la partie, j’étais vachement contente ! C’étaient des filles que je connaissais (même s’il y en a une que je connaissais seulement de loin, je l’avais croisée en convention, elle participait à une table ronde), je suis partie sur une base de confiance. C’est vrai que, là aussi, selon les joueureuses qu’il va y avoir à la table, je peux préférer me retirer.

AO : Et donc, si demain on veut jouer avec la grande Erell, et je suis sûr qu’il y en a, à quoi on doit faire attention au final ? Qu’est ce qu’on doit proposer ?

E : J’ai une liste interminable de peurs et phobies donc c’est trop compliqué ! Mieux vaut partir sur ce que je peux jouer, ça va être plus rapide ! *rires*

Ce que j’aime dans le jeu de rôle, c’est l’aventure et l’évasion. J’en parlais avec Tiramisu il y a deux semaines pour les articles sur la masculinité qu’il est en train de préparer. Je lui disais qu’il mettait les jeux mascus/violents d’un côté, de l’autre les jeux orientés sur la romance et les relations, mais je lui ai dit : Où est l’aventure ? Où est l’aventure qu’on peut avoir dans les Goonies ? Cette aventure où il n’y a pas de violence et de manichéisme, (même s’il y a des grands méchants dans les Goonies) ! Dans les inspirations que j'avais, c'était Warehouse 13 (Entrepôt 13), Flynn Carson (les films) et The Librarians (Flynn Carson et les nouveaux aventuriers), des choses qui sont vraiment dans un style aventure à la Indiana Jones sans le côté manichéen. Ce sont des séries écrites avec beaucoup de finesses, des personnages mixtes, mais on est pas trop dans du drama entre personnages, on s’en moque. On est vraiment sur de l’aventure sans enjeux du grand méchant, des gens à tabasser, des histoires entre les personnages autres que des histoires d’amitié. C’est d’ailleurs quelque chose que j’avais aimé dans l’anime Fruits Basket, c’était rafraîchissant.

Dans les autrices, Mélanie Fazi, qui vient de sortir sa deuxième non-fiction, me parle beaucoup. Je l’ai croisée aux Utopiales, quelqu’un venait de lui dire de faire un diagnostic autisme, finalement elle l’a fait et elle a sorti un livre là-dessus. J’avais mis les pieds dans le plat quand on s’était croisées, bien comme il faut d’ailleurs. La première non-fiction qu’elle avait sortie, c’était sur l’aromance et l’aromantisme. L’idée m’avait intéressée parce que je trouve qu’enlever la romance, qui peut être un certain poids dans la narration, c’est pas mal. La gestion des relations entre les personnages (mais quand tu fais du drama, c’est bien, hein !), j’ai l’impression que ça peut être très lourd, prendre une place très importante qui va manger de l’espace pour des choses qui me plaisent plus comme découvrir, explorer, se promener, s’émerveiller. Bref, du chill, quoi.

Cela dit, j’ai crash-testé le jeu de mon co-auteur Sol, dont j’ai pas encore parlé en fait ! qui est lui aussi un très grand hyperactif — il doit dormir genre trois ou quatre heures par nuit le pauvre, et il est aussi « pété de la tête » que moi, donc je vous laisse imaginer les deux ensembles, c’est un cauchemar, c’est une explosion ! Et en fait, je peux faire du jeu d’horreur. Il sait qu’il y a des thématiques à ne pas mettre, on se connaît très très bien. Par contre, il sait que je ne vais pas le prendre très au sérieux, il faut que les gens à la table acceptent que je vais faire des blagues pourries, que je vais péter l’ambiance. Mais ça me plaît bien, le côté épouvante. J’aime bien les choses qui font peur, c’est chouette, c’est le côté enfantin, je crois. J’aime les histoires de fantômes aussi, je suis une grande fan de fantastique en fait, de fantasy aussi, mais surtout de fantastique. J’aime les choses qui font peur, et même un peu glauques, mais faut pas que ça soit morbide, crade ou gore. Je peux trouver un Silent Hill très beau, avec pas mal de poésie, et à côté, Resident Evil, je ne comprends pas pourquoi jouer, je ne saisis pas l’intérêt. Tu vois ce que je veux dire ? Donc en fait, c’est plus varié ce qu’on pourrait croire, mais il faut connaître les verrous, d’où les outils de sécurité émotionnelle.

AO : Oui je vois la « fine nuance » entre le fantastique poétique et le fantastique gore ! Pour essayer d’ouvrir les verrous, tu exprimes à tes camarades de jeu tes particularités (même si j’ai plutôt l’impression que tu vas être en sélection d’une table en fonction de divers critères avant de discuter de tout ça) ?

E : Oui, totalement. Je vais te prendre un exemple : Grenadine a créé un serveur pour faire des actual plays sur un format court qui me convient bien parce que je suis pas sûre de pouvoir m’engager sur la durée, je m’épuise très vite sur les choses. Et en fait, je lui ai demandé un entretien, et on s’est topées en vocal pendant ¾ d’heure. J’avais des questions sur les autres personnes, notamment les hommes blancs cis, si ça n’était pas des gros machos (mais ça c’est mon côté « je suis une femme dans un milieu de mecs », car je suis pas là pour me prendre la tête). J’ai pas envie de rentrer en conflit avec des gens toxiques, mais ça n’a rien à voir, limite, avec la neuro-atypie, notre sujet ici. Et après j’ai expliqué : « Je sais que je peux être envahissante quand je m’enthousiasme. Parfois je peux perdre pied et envahir l’espace de parole. » Maintenant je le sais, mais je ne me rends pas forcément compte, même en le sachant. C’est difficile de le percevoir. Avant, les gens m’envoyaient sur les roses, alors maintenant je le dis. Si, gentiment, je reçois un message m’expliquant que j’envahis l’espace de parole des autres, je vais me mettre en retrait. Cela peut se produire, même si je me suis créé plein d’outils pour éviter d’en arriver là (notamment, je me dis que mon personnage parle depuis dix minutes donc je vais la mettre en veilleuse pendant dix minutes pour équilibrer). J’ai aussi expliqué les thématiques sur lesquelles, suivant les jeux, je ne jouerai pas, c’était sûr. Je me suis rendu compte aussi, avec un jeu de Samuel Geai que j’avais crash testé, que j’avais déçu sur une de mes réactions, car je ne suis pas capable (je ne le savais pas alors, je m’en suis aperçu à cette occasion) d’interpréter une émotion d’un personnage. Pour moi, un personnage c’est un outil qui me permet de faire avancer l’histoire. Même si je peux parler à la première personne, c’est toujours sur des actions. Le moment où les autres vont s’attendre à ce que mon personnage exprime une émotion en mode « jouer en performance », ça ne va pas arriver. Je ne peux pas le faire. Maintenant je le précise.

Au fur et à mesure, je me fais des listes maintenant. Quand j’ai rejoint le groupe de Wanderhome de Melville, j’ai fait un petit topo en disant que j’avais des particularités, et j’ai expliqué un peu. J’ai dit que si ça posait problème, il ne fallait pas hésiter à me le faire savoir, et que si ça dérangeait trop, il n’y avait pas de soucis à ce que je m’en aille. Mais ce n’est possible que depuis que j’ai pu identifier des choses. J’ai joué (je dirais pas le nombre d’années, mais très longtemps) sans avoir conscience de tout ça.

AO : Je présume que chez Melville, il n’y a pas eu trop de problèmes sur la question, mais tu as déjà eu des réactions négatives à l’expression de tes particularités ?

E : Non, non non. Pour l’instant, non. En tout cas, il n’y a rien qui me vient (ou alors j’ai rien vu, ça c’est possible aussi…).

AO : Qu’est-ce que, pour toi, il faudrait pour prendre largement en compte l’accessibilité (je sais que tu es très axée là-dessus, il y a plein d’éléments sur la Cyberconv sur lesquels tu as été très motrice) pour mettre plus ça en avant ? Aujourd'hui, quelqu’un qui serait meneur, joueur, quelles sont les clés qui lui permettraient de prendre en compte plus les choses, de savoir comment en parler sans être blessant ou sans mettre sur la table des choses désagréables ? Est-ce qu’il doit le faire déjà ?

E : Déjà, je pense qu’il faut partir du principe qu’il y a beaucoup plus d’hyperactifs et de neuro-atypiques qu’on ne croit. Quand je vois tous les diags qui tombent autour de moi, des gens qui se font diagnostiquer à trente, quarante ou cinquante ans… Et je pense que c’est un loisir qui attire particulièrement ce profil. Les univers de l’imaginaire nous séduisent énormément à mon avis. Quand tu es neuro-atypique, l’imaginaire te parle beaucoup, dans sa globalité, pas de façon spécifique (les genres). Généralement, c’est quelque chose qui va séduire ce lectorat. Ça se voit sur les séries geeks (beaucoup de fantastique, super héros, SF, etc.). Donc, forcément, le loisir correspond et, en plus, il a été créé dans une niche, limite avec une poignée de main secrète pour accéder aux tables. *rires*. Et ce côté niche fait qu’on peut se retrouver en entre-soi sécurisant. L'entre-soi, je ne le vois pas forcément comme quelque chose de négatif, c’est ce que j’appelle un espace safe. C’est juste quand tu te cantonnes à l'entre-soi que ça peut devenir négatif pour ton épanouissement social. Mais quand tu es en famille, c’est un entre-soi par exemple, ce n’est pas mal.

Puis il faut pas se la jouer en mode validiste « J’en aurai pas sur ma table, pourquoi m’embêter ? » car, si ça se trouve, peut-être toi, MJ qui va me lire, tu as une neuro-atypie et tu ne le sais pas encore ! *rires*
Il y a beaucoup d’outils qui existent. On avait participé à une discussion avec Aetlas sur la concentration en partie, disponible en replay sur La Grande Aventure (https://www.youtube.com/watch?v=Lxhdc05oMF8). On y parle des problèmes d’hyperactivité justement. Parce qu’il y a souvent de l’hyperactivité chez les autistes. Tous les hyperactifs ne sont pas autistes et tous les autistes ne sont pas hyperactifs, mais il y a parfois des recoupements. Et on avait pas mal discuté des outils sur la concentration. Moi, ça me fait aussi changer mon gros jeu Catharsis (que j'ai commencé il y a quatre ans), par exemple. Au contact de toutes ces personnes-là, avec lesquelles j’échange, je le modifie pas mal. Je prends mieux conscience de mes particularités donc je vois qu’il y a pas mal de choses qui n’allaient pas. Là, je suis en train de réfléchir pour créer un système de petits symboles dans les scénarios pour indiquer les moments appropriés pour faire une pause. Elle n’est pas obligatoire, mais faire des pauses c’est hyper important pour tout le monde. Ça permet de s’aérer l’esprit, faire pipi, faire une clope, chercher à boire, s'engueuler avec quelqu’un car vous n’étiez pas d’accord sur quelque chose ou parce qu’il a empoisonné ton personnage (*rires*), faire un peu de méta… La pause est super importante pour moi et, quand tu relances la partie, tout le monde est plus à fond, et ça c’est même valable hors atypies et hyperactivité. Après, la fréquence peut être variable : il y a des gens qui peuvent avoir besoin de pauses toutes les vingt minutes, d’autres toutes les deux heures. C’est un détail à cadrer assez tôt.

Demander aussi les outils de sécurité émotionnelle : il y a des sujets que vous ne voulez pas voir ? Il y a des sujets OK ou pas ? Ce que j’aime bien faire, c’est contacter les gens avant la partie quand c’est possible, en aparté. Quand ça ne l’est pas, par exemple en convention où tu récupères ta table et tu montes directement jouer, on peut demander à tout le monde de faire des petits papiers anonymes et les mélanger. Parce que ça peut être malaisant. Comme je le disais tout à l’heure, avec Thomas Munier, je commençais à X-carder des trucs et puis je suis pas allée jusqu’au bout car ça me mettait mal à l’aise pour les autres, j’avais l’impression d’être un poids pour la partie.

En réalité, pour moi c’est nouveau et ça m’enthousiasme énormément d’avoir ces diagnostics, ça m’apporte énormément de clarté dans ma vie, de la clarté que je n’avais pas. Je suis presque contente de pouvoir l’expliquer parce que je me dis que si les gens sont au courant, ça se passera mieux, j’en suis convaincue. Mais tout le monde n’est pas comme moi, tout le monde n’est pas à l’aise avec ça. Il y a des gens qui n’auront pas envie de le dire. Par exemple, avoir une table au calme, c’est une chose bête, mais ça aide. C’est quelque chose que j’ai négocié très tôt pour les conventions par exemple (même si j’avais demandé à cause de mes acouphènes à l’époque). Je prends habituellement des tables de six personnes, les deux joueuses de fond, je voyais juste bouger les lèvres tout le long de la partie. Je me rends compte que j’ai besoin de calme, pas tant à cause des acouphènes, mais parce que le bruit de fond m’épuise énormément. Deux heures de parties ça m’épuise, je ne fais plus qu’une partie par jour en convention. C’est vraiment fatigant. Notamment d’être au contact de gens que je ne connais pas, qui pourraient ne pas comprendre mon jeu, etc. ça génère beaucoup de stress. Maintenant je le gère mieux, mais sur les premières parties en public, les gens venaient parfois me demander à la fin si j’allais bien, parce que j’avais des tics : le nez tout rouge à force de me frotter, des comportements bizarres visibles. Maintenant, je sais que je peux l’expliquer, le dire. Mais tout le monde n’a pas cette aisance-là de l’annoncer, parfois par peur d’être stigmatisé. Donc c’est pas évident. Même si on le demande en début de parties : neuro-atypies, particularités, odeurs, bruits, lumières… auxquels il faut faire attention, tout le monde ne va pas forcément oser en parler. Et en plus (et ça c’est un truc très important qu’on a beaucoup notifié quand on a créé le pôle accessibilité de la Cyberconv), les personnes concernées, on a tellement l’habitude de deal with it, de composer avec les autres et leurs exigences, tellement l’habitude d’étouffer nos particularités qu’on ne pense même plus à les dire. On a tellement l’habitude d’écraser le fait que le bruit nous dérange, que la lumière forte nous gêne, de se débrouiller avec en se disant qu’on ne fera qu’une partie dans la journée car on ne pourra pas plus, au lieu d’oser demander s’il y a possibilité de baisser les stores, par exemple. On n’a tellement peu l’habitude que les gens s’adaptent à nos difficultés qu’on est tout le temps en train de prendre sur nous, et donc on fatigue encore plus vite.

En convention, ce qui me manque le plus c’est une salle de pause, une vraie, avec des transats, dans laquelle je pourrais me poser, faire une séance de méditation vingt minutes pour récupérer de l’énergie, parce que ça mange énormément d’y passer du temps.

En vrai, les outils, on en a déjà listé beaucoup sur le pôle accessibilité de la Cyberconv 2 qui est né à la base d’une initiative que j’avais eu pour le pôle activité qui venait de se créer, où je voulais qu’on fasse un atelier autour des outils d’accessibilité. Mais un atelier pratique, pas juste une conférence où on se dit : « Ah ! ce serait bien de pouvoir faire de l’accessibilité, parce qu’il y a tels et tels gens qui ont des problèmes ! ». Sur le discord de C’est pas du JDR (https://discord.gg/vNhjEmnUPc), on rassemble sur un salon dédié des outils (, on compile ces données, et je me disais qu’il fallait qu’on les partage, dans un esprit « Il y a des moyens de faire des choses, mais si on vous donne pas les outils, ça va être difficile. ». Je voulais qu’on fasse un atelier avec toutes les personnes participant à cette initiative accessibilité, et on a eu dans le groupe des personnes qui étaient non-entendantes, et des gens qui connaissaient des personnes non-voyantes intéressantes pour participer. Et on s’est dit qu’il fallait faire une réunion… mais on n’avait pas les outils ! On était sur Discord et l’amie non-entendante, ça allait être compliqué en vocal, mais s’il n’y avait que des écrits, la personne qui ne voit pas, ça va être compliqué aussi. On s’est rendu compte qu’organiser des parties sur la Cyberconv, organiser des ateliers, c’était compliqué sans les outils pour que tout le monde y ait accès. Mais les outils, on était en train de les donner aux gens. Donc on a agi ! Le pôle accessibilité il est né ainsi, de ce groupe de personnes qui voulait faire un atelier. Tous ces outils sont compilés dans un document disponible sur le itch.io d’Axolotl, c’est pour ça que j’en parle. (Je sais que le chemin est long pour répondre à ta question, bienvenue dans la tête d’une neuro-atypique hyperactive ! On a fait un tour de manège ou deux avant d’y arriver *rires*). Le plus simple, c’est pas forcément de me poser la question, j’ai pas forcément tout en tête. J’espère que ce document aura une V2 ou V3 au fur et à mesure, on m’a déjà dit qu’il y avait quelques liens morts, mais ça représenterait beaucoup de travail de mettre le document à jour au fur et à mesure. Quand il y aura trop de choses cassées ou plein de choses à ajouter, on fera une V2. N’hésitez pas à mettre en commentaire si vous avez retrouvé un lien alternatif à un cassé, d’ailleurs !

Et sinon, j’ai été invité à participer avec Yakaab (qui lui est éducateur pour des personnes handicapées) à son groupe Discord dédié. Tout ça, ce sont des initiatives où je ne suis pas toute seule, il y a plein de gens qui ont des particularités différentes et ça permet de mettre à l’épreuve les outils proposés avec toutes les diversités de particularités pour voir si ça fonctionne, si quelqu’un est lésé. C’est vraiment chouette et ça ne se ferait pas sans tout le monde, tous les gens qui participent et pas que moi ! Moi, j’arrive avec ma valise, mais tout le monde a les siennes, et c’est bien qu’on mette leur contenu en commun. Il y a aussi la possibilité, sur Jdr pour tou(te)s, la super initiative qu'a lancé Yakaab, de retrouver des outils, de réfléchir, etc. Par exemple, quand je vois qu’il y a des formations en ligne gratuites, je les partage là-bas. Hésitez pas, si ça vous intéresse ! L’idéal serait d’avoir un site, comme ça tout le monde pourrait consulter sans venir sur Discord, mais bon…

AO : Et bah merci Erell pour tout ! Tu veux rajouter quelque chose ?

E : Merci à toi ! Et je crois que j’ai pas répondu à un bout de question, alors je vais le faire maintenant. Quand j’ai commencé à écrire du jeu de rôle, c’est surtout parce que je voulais jouer, mais j’étais partie sur quelque chose de très tradi. J’avais construit d’abord un système de jeu pour le Disque-Monde, et je me suis retrouvée après avec un système de jeu D&D-like très bateau, des caracs, des compétences et tout ça. Et je me suis dis que, puisque j’avais un système, j’allais faire mon jeu à moi. Je te parlais de Warehouse 13 tout à l’heure, et depuis que je regardais cette série, je me disais qu’elle était parfaite pour faire un JdR ! Il y a d’autres séries dans la même veine qui se sont greffées par dessus, j’avais très envie de faire quelque chose autour d’agents secrets, d’objets avec des pouvoirs, mixé avec du Hero Corp (les pouvoirs pourris). Du coup, je me suis dis que ça me plairait comme axe principal de jeu. Et comme je suis médiéviste depuis très longtemps (je vais pas dire combien *rires*, mais depuis le siècle dernier en famille), je voulais du med-fan. J’ai commencé à faire un patchwork de tout ce que j’aime, et comme on est engagés au quotidien dans notre vie, notamment à propos des problèmes d’environnement, j’avais aussi envie de parler de ça. J’ai commencé à patchworker tout ça, mais ça restait un jeu très tradi. J’ai cependant commencé à y mettre d’autres choses parce que j’avais envie que ça parle aux joueuses (c’est pas forcément évident quand tu es joueuse et particulièrement adulte, et que tu arrives dans le milieu, de trouver autre chose que de taper sur des gobelins).

J’avais donc envie de travailler cette proposition et puis je suis arrivée sur les Courants Alternatifs… Première erreur ! *rires*. J’ai rencontré de sacrés zozos qui commencent à me montrer qu’on peut faire des jeux avec n’importe quoi, et que le système c’était pas forcément caracs+compétences+choses compliquées, qu’on pouvait jeter tout ça. Et là, j’ai commencé à faire autre chose. Le tout premier jeu que j’ai fini, c’était pour Trop Long ; Pas Lu, le challenge Passer l’hiver. On avait fait une petite chaîne, tout le monde choisissait un thème et le passait à quelqu’un qui devait faire un jeu dessus. Et je me sentais pas de le faire toute seule, mais j’avais envie de participer car on était sur du jeu care, ça me parlait bien. Et Matthieu Bé s’est proposé pour m’aider. C’est comme ça que je l’ai vraiment rencontré ! On s’était déjà parlé avant, mais c’est comme ça qu’on a fait un premier truc ensemble. Mais je suis partie dans un délire et je l’ai perdu en route, le pauvre ! Il avait commencé à sortir un système trop compliqué, je l’ai montré à mon mari qui fait du jeu vidéo et qui m’a dit : « Oui, je vois, c’est comme dans les RPG, c’est comme ci, comme ça ». J’ai répondu que je n’y comprenais rien, et ça m’agaçait un peu. Alors je suis retournée parler à Matthieu Bé pour lui annoncer qu’on allait jouer avec des cailloux et des bâtons… et c’est comme ça que je l’ai perdu ! *rires* C’était mon tout premier jeu pété de la tête, qui est toujours pas mis en ligne sur TLPL ! Tous les mois, je me regarde et je me dis qu’il faut que je le mette en ligne, sans le retoucher, il fonctionne peut-être moitié bien, mais on s’en moque, les gens prennent et adaptent !

Bref, je suis partie de là en me disant que je pouvais faire des jeux avec n’importe quoi.

J’ai ma maman qui est en handicap moteur depuis très longtemps, et ça me tenait à cœur de parler des difficultés qu’elle, et on, avait pu rencontrer ensemble, et quelques ami·e·s que j’ai rencontré plus tard, qui avaient des difficultés en fauteuil aussi. Le premier vrai jeu que j’ai publié après sous Axolotl, ça a été Un Monde pour moi, le jeu sur le handicap moteur. Je me suis aperçue que les jeux care et les wholesome games, ça me parlait bien, c’était mon âme. Et puis je me suis beaucoup allégée à discuter avec les CA qui faisaient des pico-games, des jeux en un paragraphe, éloignaient les systèmes qui me polluaient un petit peu. Et ça ne m'empêche pas de faire du game design ! On peut en avoir sans s'encombrer de systèmes lourds. Ça peut être juste une idée très simple, tant qu’elle est bien exploitée. C’est le genre de challenge qui me plaît bien, ça me permet d’aborder toutes les thématiques qui me plaisent, et j’ai même, moi aussi, un petit jeu d’horreur dans les tiroirs ! Je fais pas que des jeux bisounours ! *rires*. Et d’ailleurs ça n’est pas forcément juste des jeux bisounours, il peut y avoir des thématiques très dures comme les complexes par exemple, qui peuvent être des sujets très difficiles. Mais j’essaie de leur donner de la légèreté, on est là pour jouer, pour s’amuser, pour rire, pour passer un bon moment ! La légèreté est très importante pour moi.

AO : C’est noté, pour celleux qui veulent jouer avec Erell, pensez légèreté ! Et tout le reste aussi qu’on a dit avant. *rires* Merci encore pour tout, et à bientôt !