Qui n’a jamais dit, ou entendu, qu’un des problèmes récurrents de l’Appel de Cthulhu est la possibilité d’être bloqué par un test de Trouver objet caché raté ? De toute évidence, ça a marqué beaucoup de monde.

C’était d’ailleurs une critique plus que légitime, tant parce qu’on pouvait manquer un indice capital que passer une heure pénible à se creuser les méninges en vain sur ceux qu’on avait découverts. Et à n’en pas douter, autour de bien des tables, ça a créé frustrations et désillusions au point d’en faire un défaut emblématique de l’Appel de Cthulhu ; et au-delà, l’illustration idéale d’un enjeu majeur de conception : la gestion de l’échec. Des jeux n’ont existé quasi qu’en réaction, ça alimente des discussions de bars depuis 40 ans, et après tout ce temps c’est encore un des clichés rôlistes les plus populaires.

Pendant longtemps, les auteurs appelaient simplement le MJ à la souplesse, sans évoquer spécifiquement le danger d’une impasse. Mais clairement, un jet raté impliquait un échec pur et simple. Toutefois, depuis six ans, l’Appel de Cthulhu dispose d’une 7e édition qui s’assure que jamais, en aucun cas, dans aucun monde, on ne puisse être bloqué ainsi. Et pour ce faire, elle fournit des outils à tous les niveaux.

En effet, si l’on suit les règles, le scénariste interdit qu’une telle situation se présente, la meneuse l’esquive et le joueur s’en moque.

Du côté du scénariste

Les règles distinguent deux types d’indices : les insaisissables et les immanquables (p.189). Les premiers sont ceux qu’on n’estime pas indispensables à la progression de l’intrigue⁽¹⁾. Ils peuvent, par exemple, apporter un peu de contexte facultatif. Mais, surtout, ne pas obtenir cet indice mène la partie dans une direction tout autant intéressante que s’il était obtenu. Un jet de dé peut donc trancher.

Bien entendu, les immanquables correspondent à l’inverse. On les utilise quand leur absence peut maintenir les joueurs dans l’obscurité. Aucun test n’est demandé pour les découvrir.

Ainsi, au moment d’élaborer l’intrigue, les scénaristes doivent décider du caractère insaisissable ou immanquable des indices. Naturellement, comme la trame s’écrit autant qu’elle s’improvise, on désigne ici par scénaristes ceux qui sont publiés, mais aussi les MJ pendant la partie.

C’est pourquoi un scénario conçu selon les règles de l’Appel de Cthulhu v7 ne peut pas conduire à une situation de blocage suite à l’échec d’un test de Trouver objet caché.

Du côté du MJ

Toutefois, comme aucun scénariste n’est à l’abri d’un impair, y compris ceux qui sont relus par l’éditeur, ça ne s’arrête pas là.

En effet, si les versions précédentes n’envisageaient que deux issues à un test, la réussite ou l’échec (avec une variation éventuelle sur la qualité), la dernière étend les possibilités offertes par ce dernier.. Il n’y a toujours que deux résultats possibles à un jet de dés, mais « rater un test ne veut pas automatiquement dire que l’on n’obtient pas ce que l’on voulait » (p.182). Le but peut n’être que partiellement atteint, ou avec des conséquences négatives imprévues.

En d’autres termes, et pour revenir au point qui nous occupe, face à l’échec d’un test de Trouver objet cacher, un MJ n’a aucune raison de refuser l’accès à un indice dont l’absence pourrait bloquer le partie. Il peut compliquer la vie de l’investigateur en échange, mais il doit fournir l’indice malgré tout.

On peut regretter que ce soit entièrement entre les mains du MJ, que le système de résolution ne mécanise pas lui-même ces variations. Pour beaucoup, cette nécessité d’adaptation semble néanmoins un plaisir en soi. Et c’est peut-être à voir comme un avantage, si l’on reste dans le paradigme de base de l’Appel de Cthulhu. C’est-à-dire que, faute de redéfinir complètement la façon d’y jouer en s’appuyant sur une enquête émergente, par exemple, on conserve une grande souplesse via le MJ.

Quoi qu’il en soit, un scénario mené selon les règles de l’Appel de Cthulhu v7 ne peut donc pas conduire à une situation de blocage suite à l’échec d’un test de Trouver objet caché.

Du côté des joueurs

Pourtant, les MJ comme les scénaristes restent faillibles. Sans compter qu’un blocage peut aussi arriver en ayant obtenu l’indice si l’on ne sait pas comment l’exploiter. Alors puisque cette édition est celle des joueurs, regardons de leur côté.

Ils ont certes plus de moyens de réussir les jets qui leur importent, mais le contexte de la recherche d’indice leur rend difficile, voire impossible, de déterminer si un test est essentiel ou non. Si le scénariste ne l’a pas identifié comme immanquable, si le MJ n’a pas proposé une complication plutôt qu’un échec, si les joueurs n’ont pas vu l’intérêt d’utiliser un redoublement ou leur chance pour forcer un succès, ou s’ils n’ont plus la moindre idée de comment tirer parti des éléments à leur disposition, ils peuvent effectivement se retrouver coincés.

C’est là qu’intervient le jet d’Idée (p.80). En effet, ils peuvent le réclamer à tout moment s’ils considèrent que la partie s’embourbe. S’ils en ont marre de patiner, un test d’Idée suffit pour passer à la suite. Ce faisant, ils échangent une prise de risque contre une remise sur la voie. En cas de réussite, le MJ met en scène l’obtention d’un nouvel indice, et c’est reparti pour un tour ! Si c’est un échec, les investigateurs recueillent tout de même leur indice, mais la narration reprend au cœur des ennuis qui leur ont permis de l’acquérir. Quoiqu’il arrive, la partie est relancée⁽²⁾ !

C’est pourquoi, selon les règles de l’Appel de Cthulhu, il est rigoureusement impossible que des joueurs soient bloqués par un test de Trouver objet caché raté, ou par quoi que ce soit d’autre.

Conclusion

Nous sommes donc face à un problème devenu emblématique, réglé, mais qui perdure pourtant sous forme de mythe. Voire comme un épouvantail, lorsqu’il est brandi pour promouvoir d’autres jeux ou des approches de conception différentes. Et bien, il est grand temps de le brûler, ce vieil épouvantail. La v7 est aussi ancienne que D&D5, la pertinence à s’appuyer sur les versions précédentes pour soutenir une analyse s’avère de plus en plus douteuse. Et si c’est dans une optique critique, il y a bien mieux à discuter. Ce n’est pas comme si l’on manquait d’autres choix de conception bien réels à commenter. À commencer par les 3 exposés ci-dessus, d’ailleurs.

Ainsi, si vous étiez resté sur une vieille idée, peut-être cette mise à jour vous permettra-t-elle d’animer plus justement vos dîners rôliste. Quant à ceux qui sont encore confrontés de temps en temps au problème durant leurs parties, j’espère que ce petit rappel de règles leur aura été utile. Bon jeu !

Merci à Gherhartd Sildoenfein et Doji Satori pour leurs commentaires et suggestions.


Notes

Les références sont données par rapport à la pagination de l’édition francophone de Sans-Détour.

Image par bluebudgie de Pixabay

[1] On peut remarquer que, comme nous l’évoquions déjà dans l’article précédent sur cette 7e édition, ici non plus ce n’est pas la simulation qui dicte la décision, mais la construction de la fiction.
[2] Ou tout le monde est mort.
[3] Si vous n’avez pas pu vous empêcher d’ajouter « de Cthulhu » en gloussant à chaque lecture du mot Mythe dans cet article, vous perdez 1/1D6 SAN.