Retranscription d’une interview vocale de Gherhartd par AsgardOdin, un dimanche de Pâques à 16h. L'interview a été très légèrement modifiée pour corriger certaines tournures plus claires à l'oral qu'à l'écrit.


Gherhartd, en trois phrases, et j’insiste en trois phrases, c’est quoi l’immersion pour toi ?

Et bien avant de faire les trois phrases, je vais faire une intro, parce que je suis un mec chiant. Elle reflète la discussion qu’il y a eu sur le serveur ce matin, autour de l’interview de Mass et avec lui, qui est que : ce que je vais dire, c’est seulement ce que moi je mets derrière ces mots là. Je ne suis pas plus qualifié – ou moins qualifié – qu’un autre pour dire ce que ça voudrait “vraiment” dire. Juste, quand je parle de ça sans autre contexte, c’est plutôt ça que je veux dire. Les mots ne sont pas importants, mais je trouve intéressant de réfléchir aux concepts qui sont derrière.

L’immersion c’est quelque chose que j’ai longtemps recherché. À force de chercher après, ma définition a changé.

L’immersion, c’est ce sur quoi je porte l’attention dans l’expérience de jeu pour l’effet que cela va produire en moi, et cet effet.

Pendant tout un temps, je pensais que l’immersion c’était le flow. Je sais pas si vous connaissez ?

Non mais vas-y détaille le.

C’est un truc qui a été “découvert”, mis en évidence, par un psychologue roumain en dix-neuf-cent-septante-cinq — il a un nom difficile à prononcer donc je m’y risquerai pas (NdT : Mihály Csíkszentmihály) — mais c’est grosso-modo la description d’un état mental des gens qui sont dans un état de concentration extrême. Cela a été repris aussi dans le lexique des jeux vidéos sous le terme de “zone”. Il y a en gros quatre axes qui me semblaient bien correspondre à ce que je ressentais quand j’avais des parties dont j’étais étaient extrêmement satisfait après. C’est donc ce que je recherchais. Ces quatre axes sont :

  • une absorption cognitive sans anxiété ni angoisse, totalement absorbé par sa tâche,
  • l’oubli du temps,
  • l’oubli de soi,
  • un sentiment de bien être et de joie.

Quand j’étais en immersion dans un personnage à l’époque — parce que c’est quelque chose que je n’avais identifié qu’en temps que joueuse — c’était à travers les sentiments du personnage, sa psychologie. C’est là où je rejoins assez fort Mass, il me semble.

Après, je me suis rendu compte que je trouvais quelque chose de semblable sur les très bonnes parties quand j’étais meneur de jeu. Pourtant quand je suis meneur de jeu, je ne suis absolument pas dans les sentiments, les sensations d’un personnage ; c’était en même temps tout à fait autre chose. Et là j’ai découvert que ça correspondait plus ou moins au flow (en prenant toutes les précautions d’usage, vu que le flow c’est une théorie de psychologue, où il y a des échelles de questionnaires pour voir quel niveau du flow on se situe, mais bon, grosso modo, ça correspondait bien à ce que je vivais).

Mais du coup l’immersion c’est quoi ? Si c’est le flow, c’est pas nécessairement dans le personnage, ça peut être dans tout un tas d’autres trucs. On peut être immergé dans la stratégie, dans la création, qu’elle soit seule ou collaborative. On peut être immergé dans le fait de raconter une belle histoire, que ce soit en l’inventer, ou bien la raconter. On peut être immergé dans le fait de manipuler le jeu, dans son background, dans ses règles. Il y a des tas de manières d’être immergé différentes qui correspondent à des plaisirs de jeu différents et quand on pousse ce plaisir très loin, on est en immersion. Et donc j’avais mis l’immersion sur un niveau : je suis immergé quand j'atteins tel niveau de profondeur dans le jeu, quand j’attends tel sentiment de satisfaction après avoir joué. Cela me poussait à chercher un jeu de plus en plus sérieux, où : c’est sérieux, on ne se laisse pas distraire, on ne parle pas d’autre chose, on se concentre vraiment, on essaie d’éliminer toutes les distractions. Et puis j’ai dissocié la profondeur de l’état de la direction qu’il prenait. C’est l’immersion dans l’aspect social du jeu qui m’a fait réaliser cela, parce que c’est à la fois en dedans et en dehors du jeu. On garde l’idée qu’on peut être immergé dans des tas d’autres choses, dont le personnage qui est une des immersions fréquemment recherchée par les joueurs, et il y a une profondeur dont l’immersion la plus profonde est quand on atteint l’état de flow.


Moi j’entends dans ce que tu me dis, que ça c’est ce que tu faisais avant, mais c’est pas quelque chose que tu fais maintenant. Du coup, ça veut dire qu’aujourd’hui tu n’es plus dans la recherche de l’immersion, ou que tu es à la recherche d’une autre forme d’immersion ? Comment tu définirais aujourd’hui ton lien avec tes personnages ?

Quand je suis joueuse, ça dépend des jeux et des pratiques. Je peux tout à fait rechercher cette immersion, telle que je la définissait auparavant. L’immersion dans le personnage et sa psychologie, c’est toujours quelque chose qui me plaît énormément. Je cherche le bleed, et plus spécifiquement le bleed out, c’est à dire ressentir les émotions qu’on fait ressentir à son personnage, se projeter aussi dans les sensations du personnage. Un jeu comme Happy (NdT : de Gaël Sacré), un jeu contemplatif seul, est vraiment dans le type de démarche que je fais pour mon immersion.

Je peux choisir d’autres immersions en plus. Par exemple dans notre partie de Masques : une nouvelle génération, je suis plus dans l’immersion sociale (c’est à dire, grosso modo, de passer une bonne soirée et de veiller à ce que cela soit le cas pour tout le monde) et dans la création collaborative d’une histoire. Ce n’est pas le même genre d’immersion : je ne vais pas ressentir des sentiments qui fuiraient de mon personnage vers moi. Mais je vais avoir des sensations de jeu assez fortes, qui ne sont pas une correspondance entre mon personnage imaginaire et moi, mais qui me permettent d’arriver, quand tout s’aligne bien, et que je suis en forme, vers un même plaisir de jeu, avec une saveur différente, mais aussi intense. Je me perds dans le jeu, je ne vois pas le temps qui passe, je ne pense pas à autre chose que le jeu, et ça me fait du bien, ça me fait plaisir.

Du coup, j’ai l’impression que tu as réussi, au fur et à mesure du temps passé, à faire de l’immersion une série de sentiments positifs, mais du coup, quels sont les conseils qui pour toi sont bons pour réussir son immersion ?

Pour réussir son immersion, il faut déjà savoir ce qu’on cherche, c’est la première chose, et se concentrer là dessus. Être dans un contexte favorable, avec des distractions minimums, puisque plus on peut se concentrer, plus c’est facile. Maintenant des distractions ça n’empêche pas forcément.

On peut avoir des immersions de groupe, quand tout le groupe cherche la même chose, pas nécessairement la même immersion, mais cherche l’immersion, la profondeur de cet état-à, joue sérieusement, ça aide beaucoup. On peut avoir une immersion sociale dans une partie casual “beer and pretzel” où on passe vraiment un bon moment qui crée cet oubli de soi et cette joie sans être profondément dans le jeu au sens des hardcore gamers, et c’est autre chose, mais c’est la même profondeur, je pense.

Pour moi, un truc aussi, c’est de ne pas prendre nécessairement pour une distraction quelque chose qui n’en est pas nécessairement une. Quand je commençais plus dans le jeu de rôle, on crachait beaucoup sur le meta-game, et puis c’est quelque chose que j’ai tout à fait apprivoisé.

Je crois que le jeu de rôle c’est un peu comme faire du vélo. Au départ on doit se concentrer sur tenir son équilibre, sur pédaler, changer ses vitesses, regarder où on va. Une fois qu’on a maîtrisé l’aspect technique, on peut aller quelque part, regarder le paysage, se consacrer à une randonnée, à une course etc. Tant qu’on est gêné par le vélo, par tenir son équilibre, on sait pas se consacrer aux autres choses. Une fois qu’on a maîtrisé ça, on peut tout à fait. C'est pour ça qu’il y a des gens qui veulent avoir un truc le plus facile à maîtriser possible, et qui vont se concentrer sur des règles simples, parce qu’ils trouvent que les règles sont une gêne dans leur recherche. Ils ne veulent avoir un vélo avec lequel ils peuvent aller quelque part. D’autre part, il y a des personnes qui vont au contraire chercher une immersion qui va passer à travers de la maîtrise de règles complexes. Il y a temps d’apprentissage où ils ne peuvent pas vraiment être immergés, ou alors c’est une immersion dans l’apprentissage. Ensuite, il y a le défi même d’arriver à manipuler ça, qui fait partie de leur motivation, et plus tard de leur immersion.

Ton immersion toi en fait, elle est transversale, que ça soit du jeu de rôle, du jeu de plateau, comme dirait certaines personnes, du craps. Tu pourrais avoir une immersion semblable ? Est-ce que le jeu de rôle a une immersion qui, à ton sens, a une différence par rapport aux autres ?

Oui tout à fait, mais je suis très jeu de rôle, et plutôt réfractaire aux autres types de jeu. Les jeux de société, il faut vraiment des conditions optimales et des gens qui me correspondent vraiment bien pour que je puisse y prendre plaisir. Il y a des jeux qui sont un peu à la frontière comme Horreur à Arkham : le jeu de cartes, bah là je trouve que j’ai une immersion dans le personnage, proche de ce que je peux avoir en jeu de rôle, avec des sensations physiques, des sentiments, des scènes que je visualise très bien. Et aussi dans la stratégie, parce que sinon la partie se termine très vite.

Il y a des jeux de société où je peux avoir une immersion sociale, si l’ambiance est bonne, s’il y a vraiment des chouettes échanges entre les gens. Mais c’est plutôt rare.

Même les jeux vidéos, je peux jouer un petit peu, mais je n’en retire pas du tout la même intensité de plaisir et de satisfaction. Le Grandeur Nature, c’est pas mal pour moi, ce sont d’autres immersions.

Ça c’est des définitions généralistes, sans aucun sens négatif à ce que je dis, mais ce sont des définitions que tu présentes de manière générale, pouvant s’appliquer à plein de solutions différentes, mais moi ce qui m’intéresse de savoir, toi, c’est quoi ton type d’immersion préféré ? Tu es plutôt système simple ou compliqué, avec peu ou beaucoup de méta, qu’est ce qui a le plus grand effet sur toi en terme d’immersion ?

L’immersion dans le personnage, ses émotions, ses sentiments, c’est toujours un de mes grands kiffs, et l’immersion de meneur de jeu où j’essaye de donner ça aux autres joueuses, ça me plaît toujours aussi. J’ai appris avec les systèmes propulsés par l’apocalypse et les jeux narratifs à intégrer le méta-jeu et la réflexion collaborative dans mon plaisir de jeu. Et ça n’est pas venu tout de suite. Il m’a fallu un bout temps. Par exemple, un jeu comme Microscope, ce n’est pas un jeu où j’aurais pu prendre plaisir quand j’ai commencé les jeux narratifs. Quand je suis arrivé dessus, j’avais suffisamment de bouteille, suffisamment apprivoisé les mécaniques et la manière d’aborder ce type de jeu là pour que ça soit un pied total. Mais c’est pas du tout un jeu où on joue vraiment un personnage — même si le moment où on joue un personnage ça me plaît beaucoup — je m’amuse pendant tout le long. Or c’est un jeu où on joue vraiment beaucoup de personnages, on peut pas avoir cette immersion dans le personnage, et quand on joue un personnage c’est pour la durée d’une scène, et peut-être qu’à une autre scène on jouera un autre. Ça ne m’empêche pas d’être totalement immergé dans le jeu. Une immersion dans l’histoire globale, dans son style.

Quel est l’écueil pour toi à éviter dans l’immersion en général ? Quel est le risque que ça peut causer et quels sont les conseils que tu pourrais donner à quelqu’un qui se lancerait dans le jeu de rôle, jeune ou moins jeune ?

Pour moi, il n’y a pas de risques à l’immersion. Oh, il y a toujours le risque d’une activité qui te prends du temps, qui te consume, mais comme toute activité pour laquelle tu peux te passionner. Pour moi, immersion et passion, c’est assez proche. Pour moi, il n’y pas de risque spécifique à l’immersion elle-même. Si on pense problèmes de fragilité émotionnelle ou mentale, oui ça peut faire craquer certaines personnes, mais comme elles craqueraient en étant se passionnant pour le foot ou des romans.

Question additionnelle de Chewba, spectateur de cet échange : Est-ce qu’il y a des choses que vous faites pour faciliter l’entrée dans cet état de flow ? Des choses qui aident ? Des rituels ?

Pour moi, il y a une concentration volontaire, une volonté vouloir aller vers ça,. Choisir vers quoi je vais. Avoir un peu de confort matériel : ma tasse de thé, peut être un chocolat, une bière.

La prise de notes est un élément qui facilite grandement mon immersion, et surtout l’immersion dans le personnage. Je prends des notes ; souvent je griffonne sur ma feuille, cela m’aide à me concentrer. Ça me facilite l’immersion à court terme.

Et à long terme, parce que je les rédige avec la voix et la mentalité de mon personnage, ce ne sont pas des notes objectives. Parfois j’ai une part objective et ce qu’on pense mon personnage, ce qu’il a ressenti, ce qu’il a pensé à ce moment là, d’autre part. Quand je relis ces notes, j’ai beaucoup plus de facilité à retrouver ce personnage, à me replonger dedans, ça facilite grandement.


Voilà, la retranscription de l’interview est finie. N’hésitez pas à répondre en commentaire ici ou à venir en discuter sur le Discord Casus-No !

Si vous souhaitez également être l’objet d’une interview sur ce thème de l’immersion, n’hésitez pas à demander, je me ferais un plaisir de la réaliser !