De l'utilisation des tables aléatoires et de la façon de composer une sélection savoureuse
Pourquoi écrire des tables aléatoires
La mouvance OSR (Old School Renaissance) a eu un beau succès avant la sortie de D&D5, beaucoup de joueur·euses et MJs n’étant à l’aise ni avec D&D3, ni avec D&D4.
L’un des grands axes philosophiques de l’OSR est de promouvoir un esprit de jeu avec peu de préparation et un esprit de bricolo (sur les règles comme l’univers, le fameux DIY - Do It Yourself).
Or les tables aléatoires sont le point de rencontre entre l’esprit du bricolo et celui de l’improvisateur·trice, qui veut non seulement proposer une expérience de jeu intéressante avec peu de préparation, mais veut aussi en tant que meneur·euse s’amuser, et donc être étonné·e lui/elle-aussi.
On remarquera d’ailleurs que D&D5 a bien compris l’intérêt des tables aléatoires et en inclut énormément, plus que lors des éditions précédentes:
- pour joueur·euse lors de la création de perso, allant de leur méfait préféré à des choses plus orientées “psychologie du personnage qui va être joué”, comme son idéal ou défaut
- mais aussi des tables pour MJ, avec des tables de noms de PNJs, de trésors (certes iconiques) et de rencontres aléatoires.
Il est donc évident qu’il existe un public pour les tables (ou même un lectorat).
Pourquoi utiliser des tables plutôt que des générateurs
Entre le jeu en ligne et l’omniprésence des intelliphones à la table de jeu, il est assez facile d’avoir accès à des générateurs en ligne… Pourquoi écrire des tables dans ce contexte?
Déjà car elles sont plus facilement imprimable. Je sais pas si vous avez déjà essayé de jouer sans internet (de manière forcée) quand vous aviez prévu de vous en servir? Personnellement, entre l’énervement de ne pas pouvoir utiliser ma préparation, la colère contre la technique qui se rebelle et la déception sur le visage de mon groupe (qui refusera de l’avouer, par gentillesse), je peux vous assurer la partie sera oubliable…
Je suis donc devenu un VCI™ (Vieux Con Indécrottable) qui se balade avec un classeur dans son sac à dos rempli de tables, imprimées sur des résidus d’arbres morts, plutôt qu’un ordinateur portable…
Les tables aléatoires ont de plus quelques avantages supplémentaires :
- Déjà, elles se laissent lire à l’avance (ce que je conseille)
- Ensuite, elles affichent tous les résultats d’un coup d’un seul… Si le résultat du jet de dé ne vous plait pas, une ligne plus haut ou plus bas devrait faire l’affaire. Ou alors vous avez mal choisi votre table.
- Elles se laissent plus facilement annoter (avec un post-it, on est pas des monstres qui écrivent dans leurs livres non plus !)
La bonne table aléatoire et la mauvaise table aléatoire
“Bon bah la mauvaise table, tu lances un dé, tu lis le résultat et tu joues avec.
- Et la bonne table?
- Bon bah la bonne table... tu lances un dé... tu lis le résultat… et tu joues avec. Mais c’est quand même une bonne table”
En fait, faire la différence entre une bonne et une mauvaise table est assez simple: Si une table aléatoire vous parle ou vous donne envie de jouer, c’est une bonne table aléatoire.
Donc il faudra qu’elle ait suffisamment de potentiel ludique, tout en restant mémorisable et préparable (avec un cerveau de quadra/quinqua qui n’est plus capable d’ingérer autant d’informations que 20 ans plus tôt).
Différents types de tables aléatoires
Il faut parfois faire une distinction entre les différents types de table aléatoire. Personnellement je connais:
- Les tables aléatoires de rencontre (aussi appelées tables de monstres errants)
- Les tables aléatoires d’effets (potions, effets secondaires, sorts qui plantent,etc.)
- Les tables de trésors
- Les aides à la création (tables aléatoires de quartiers, de maisons, de type de terrain, etc. C’est probablement catégorie la plus fourre-tout)
- Les tables de noms (que l’on pourrait ranger dans les aides à la création) et de description de PNJs aléatoires (spécificités physiques, traits de caractère)
Comment écrire une bonne table aléatoire
Je vais vous parler ici de mon expérience dans le domaine, je ne suis pas non plus avec la science infuse… Mais j’ai eu plutôt de bon échos de ma production, alors il y a peut-être quelque chose à glaner…
Soyez concis
Pour pouvoir être utilisable facilement en jeu, une table se doit d’être lisible rapidement. Personnellement, j’essaye de limiter la taille de mes tables (de 2 colonnes) à seulement 2 ou 3 lignes. Si ca dépasse ce cadre, je sabre dans le texte, en essayant de ne pas perdre de sens. (Je vous invite à aller voir un exemple de table de rencontres lors d’une poursuite dans un Londres alternatif au XIXème siècle où j’avais essayé de tout faire tenir en 2 lignes: https://intolondon1814.blogspot.com/2019/05/random-pursuit-encounters-in-london-1814.html)
Soyez spécifique
Cela se recoupe avec le point précédent. La langue française est riche et un synonyme peut parfois vous faire gagner les 5 pu***n de signes en trop. Le style télégraphique est envisageable, c’est une table, pas le corps du texte.
Soyez lyrique
Non, ce n’est pas incompatible avec le style télégraphique.
Plutôt que : “une épée magique qui permet de combattre avec facilité les hordes maléfiques passant par le portail ouvert lors de l’Aube Noire”, laissez votre sens littéraire s’exprimer pour vous aider à condenser vos idées et votre texte: ”épée rebutant les rejetons de l’Aube Noire” (on se doute bien que l’épée est magique, que ca ne sera pas un moment facile et le fait que les rejetons arriveront par un portail depuis les enfers, c’est probablement décrit dans l’aventure, la BD ou le livre de base)
Pourquoi être lyrique? Pour le plaisir de lecture et de relecture. N’oubliez pas que le matériel de jdr est beaucoup plus lu qu’utilisé en partie…
Racontez quelque chose
Chaque entrée de votre table, même si elle ne fait qu’une ligne, doit raconter une histoire, lancer une amorce de scénario, provoquer une rencontre (dans le sens “Encounter”) ou une image mentale.
Nos amis rôlistes d’outre-atlantique ont une culture de la Rencontre aléatoire bien plus développée que nous et en font souvent beaucoup plus usage. Et je les comprends bien : Une rencontre aléatoire, c’est une scène, qui amènera de la surprise dans le jeu, et qui tiendra une heure, voir bien plus si elle mène à un combat. Hank, dans une vidéo sur la maîtrise de ICRPG (dont il est l’auteur), conseille par exemple de ne préparer qu’une seule rencontre, mais épique, les soirs où l’on a pas eu trop le temps de préparer… (Il explique cela très bien dans sa vidéo sur comment jouer un dragon:
https://youtu.be/X0TPlzMwpF8)
Soyez logique
Si vous faites une table de rencontre aléatoire dans les marais, n’y mettez pas des fennecs…
Ca parait tout con, mais c’est un écueil énorme quand il s’agit de rentrer dans l’ouvrage.
Donc dans un donjon, s’il y a des cubes gélatineux dans la table de rencontre aléatoire, il serait intelligent de mettre des indices que ce genre de bébettes vit ici (pas de résidus organiques nulle part dans le donjon. Même pas du guano de chauve-souris-vampire…)
Si votre table parle de pirates, ne mettez pas d’épée mais des sabres, pas d’elfes mais des ondins.
Soyez illogiques mais justifiez pourquoi
Il faut à vos tables de l’inventivité, autre chose que des clichés. Donc si vous allez à l’encontre de la logique de votre table aléatoire, il faut justifier pourquoi. Le fennec au milieu du Marais Pestilentiel est le familier d’un roi-sorcier du désert Stygien. Tout de suite, cette entrée de table est intrigante et mémorable (la rencontre le sera probablement aussi)
Soyez maniaque
Si vous avez décidé que votre table aléatoire fera 2 lignes pour chaque entrée, tenez-vous-y. Dans un sens comme dans l’autre, d’ailleurs. Utilisez des adjectifs pour apporter des spécificités à votre entrée. Si vous avez la place, faite du fennec un “fennec albinos” ou un “fennec broyant un crapaud entre ses mâchoires maculées de sang”. Ces détails ne sont pas nécessaires, mais si vous avez la place, il serait dommage de s’en passer. Surtout si le fennec est tout gentil, en fait…
Remettez vous plusieurs fois à l’ouvrage
Je ne suis jamais parfait, ni même généralement vraiment bon, lors du premier jet de mes tables. D’ailleurs ma créativité est généralement à sec avant de finir d’écrire une table (je suis un fan des tables à 36 entrées, avec un lancer de D66).
Donc n’hésitez pas à:
- Faire un brouillon sur papier
- Ne pas finir votre brouillon dès la première fois
- Relire vos textes le lendemain
- Changer une idée
- Faire lire par un ami avant publication
Ne soyez pas monotones
Mettez des choses positives dans une table d’effets négatifs (sinon vos joueurs ne boiront jamais de potions sans les avoir identifiées avant). Mettez des rencontres sociales sur votre table de monstres errants (quitte à décrire, plus en détail dans un paragraphe plus loin, cette entrée de votre table). Mettez des gains en charisme pour les cicatrices “dââââârks” au tout début de votre table des effets des blessures critiques. Faites en sorte que tout le monde soit effrayé mais aussi excité de vous voir sortir une de vos tables...
Soyez au courant des probabilités
Faire une table où l’on lance 2D6 que l’on ajoute aura des résultats médians plus courants (jolie courbe de Gauss) que les extrêmes. Cela peut être voulu (par exemple pour intégrer une rencontre avec des mafiosi italiens dans un quartier tenu par les triades) et dans ce cas c’est un outil intéressant.
Mais si vous voulez des résultats équiprobables (ce qui est le cas, en général), n'utilisez qu’un dé (1D12 c’est juste une entrée de plus à créer par rapport à 2D6) pour votre table. Il y a plein de dés différents jusqu’au D20, et ensuite vous pouvez faire des combinaisons de dés ne s’additionnant pas comme le fameux D66 (un D6 pour les dizaines, l’autre pour les unités - 36 entrées) ou le D100. Ou le D46 (D4 pour les dizaines, D6 pour les unités - 24 entrées), le D88 (64 entrées), le D40 et le D60 (D4 ou D6 combiné avec un D10). Je pense que vous avez compris le principe.
Expérimentez
C’est là que j’ai moins de conseils à vous donner, mais j’ai vu de superbes tables organisées en matrices (36 entrées sur une page, avec D6 en abscisse et un autre D6 en ordonnées), des tables où les résultats sont bien plus positifs quand les nombres sont hauts, car on jette un dé d’usure sur cette table (donc selon l’état du dé, on jette sur la même table un D4, D6, D8, D10, D12, ou D20). Et si vous n’avez pas la place de mettre tous les détails que vous voulez dans votre table, mettez des mots clés dans la table et expliquez-les ensuite dans le texte, en espérant que vos lecteurs se souviendront du texte quand ils liront les mots clés. Et pour vous entrainer ou vous lancer, n’hésitez pas à aller sur le Discord de Casus No sur le canal #tables-à-gogo ou venir mettre votre grain de sel sur les fils #D20-democracy et d30-Democracy du Discord OSR. On y joue à des jeux créatifs, dont le but final est d’obtenir… Des tables aléatoires…
Quelques références intéressantes:
Les livres du joueur et du MJ de D&D5 contiennent pas mal de tables plutôt bien faites
L’excellent Beyond the Wall utilise beaucoup de tables aléatoires pour la création du personnage et du village.
Maze Rats est un jeu quasiment complètement basé sur les tables aléatoires.
Les Voix d’Altaride ont faire un épisode de leur podcast sur le sujet :
http://www.cendrones.fr/voix-daltaride-94-tables-aleatoires/
Sur mon blog, j’ai créé un cadre sous forme de tables aléatoire pour encadrer les connaissances qu’ont certains personnage d’un passé lointain (et je suis assez fier de cet outil) : https://osrdread.blogspot.com/2019/11/dread-legacy-of-1st-age.html