Gherhartd a pris la plume pour écrire et détailler un peu la partie de The Between que nous avons joué ensemble et ce que ça avait évoqué chez lui (https://nonobstant.cafe/the-between-allege-avec-asgardodin/) et je me dis qu’il serait aussi intéressant de faire aussi un peu de retour sur le pourquoi de ma part de lancer cette expérience et que ce qu’elle m’a apporté (ou m’ont apportées pour être précis, puisque j’en ai fait plusieurs).

L’origine

D’abord, je n’ai jamais été très fan d’enquête “traditionnelle” et en particulier du côté MJ. Parce que ça implique souvent de réfléchir à des séquences logiques, cohérentes, travaillées. Et à les structurer, les construire, élaborer des indices en découlant pour permettre aux joueureuses de formuler des hypothèses, de les vérifier, de les confronter et de résoudre le mystère. Ce qui m’intéresse en jdr ce n’est pas tant ça, que la façon dont les personnages vont s’y prendre pour la résoudre, les conséquences de la résolution et les inévitables choix moraux que les personnages vont devoir affronter. (Je pense qu’aucune personne ne peut raisonnablement tout résoudre pour le mieux et rester indifférente à ce qu’elle a vécu, ne serait-ce que pour dire que cette fois-ci, ça s’est mieux passé). Dans ces conditions, outre la partie construction soignée, qui a toujours été au-dessus de mes forces, faire jouer une enquête sur une soirée m’apparaissait impossible, et mes nombreuses tentatives se sont écrasées sur le mur de la réalité. D’où mon intérêt quand j’ai lu la proposition des Carved From Brindlewood Bay, et les retours sur The Between : une enquête émergente, soutenue par le système, permettant de replacer les personnages au cœur du jeu. The Between en particulier me parlait plus que les autres notamment en raison de son univers diégétique et les fabuleux AP de Volsung sur le jeu ont achevé de me convaincre (je vous les conseille et en voici le premier https://www.youtube.com/watch?v=a5yr7GGfgj8).
Après l’écoute, j’étais convaincu : Il fallait que j’essaie.

La modification

J’achète et lis le PDF. Plein de choses intéressantes et plein de choses mécanisées, trop pour moi. Et clairement intenable en une soirée. Le jeu est conçu pour de courtes campagnes de 8 à 12 séances, ça se voit, c’est inscrit dans son ADN. Les moves principaux ont des effets sur le long terme, les PJs ont une attrition de flashbacks pour les aider à réussir quand même certains jets (voir l’article de Gherhartd pour une meilleure explication des mécaniques), des scènes pour éliminer des conditions etc. Plein de choses intéressantes, mais inapplicables pour mon objectif : faire jouer une enquête en une soirée avec le cœur du système. Qu’à cela ne tienne, un peu d’huile de coude et tout ira bien !
Comme le disait Gherhartd, le jeu d’origine contient quatre phases de jeu, je les ai simplifiées : Au revoir l'aube (qui servait principalement pour l’XP et la progression des personnages) et le crépuscule (qui devient juste le moment narratif de la réponse mécanique à la question).
J’ai également réécrit tout ou partie des playbooks : ceux du jeu d'origine sont conçus pour avoir une progression, ce qui n'a pas de sens pour un one-shot. J'ai donc pris un ou plusieurs moves avancés, tels quels ou en les modifiants, pour essayer de ressortir ce qu'il me semblait être le cœur du playbooks avec un move directement actionnable une ou plusieurs fois dans la séance. Je tiens à préciser que je n’ai pas vu la série Penny Dreadful, donc j’ai ajusté en fonction de mon ressenti. Content de voir que je n’ai sans doute pas trop dénaturé le matériau d’origine puisqu’il a été reconnu au moins par les deux/trois joueureuses ayant vu la série !
Il m’a semblé nécessaire également de supprimer certaines particularités comme les moves liés à l’enquête aka la menace (chaque menace apportant son move spécifique) ou les masques (les potentialités de flashback) liés eux aussi à la menace spécifique parce que c'était trop lourd pour une seule soirée.

Les parties

Je n’ai pas grand chose à dire de plus que ce qu’a dit mon ami sur la partie que nous avons jouée ensemble, si ce n’est que j’ai eu la chance de jouer avec plein de joueureuses différents et que c’est toujours agréable de croiser autant de partenaires de jeu aussi intéressants. Jouer c’est toujours découvrir quelque chose, même avec certaines ou certains avec qui je joue déjà beaucoup. Merci à toutes celles et ceux qui ont accepté le playtest !

Ce que j’en retiens

En ce qui me concerne, c’est sans doute l’expérience rôliste la plus intéressante de cette dernière année. Comme je le disais en introduction, je n’ai jamais vraiment réussi à gérer les enquêtes et souvent cela s’étalait en longueur. Là il s’agissait d’un vrai défi, tenir une enquête en moins de deux heures (pour laisser un peu de temps à la résolution ensuite). Et c’est là l’apport très rafraîchissant de The Between.
Pour résumer comment cela se déroule : Les joueureuses décident ensemble ce qu’ils font, décrivent rapidement leurs actions, font quelques échanges verbaux avec des PNJs s’il y a lieu, puis le move d’enquête est activé (Quand tu cherches un indice, tu fais des recherches ou tu rassembles des informations, décris comment tu le fais et fais un jet avec une capacité appropriée. Sur un succès, tu trouves un indice. Le Gardien te dira de quoi il s'agit. Sur un 7-9, il y a une complication - soit avec l'indice lui-même, soit une complication que tu as rencontrée en cherchant. Le Gardien te dira de quelle complication il s'agit. Traduction personnelle). Une fois l’indice obtenu, les joueureuses peuvent décider de continuer à chercher, en présentant d’autres façons d’obtenir des informations, ou alors la scène se clôt là. Vient ensuite une autre scène, ou un moment d’échange entre personnages.
Le move est suffisamment large et générique pour permettre d’apporter l’indice sous plein de formes, et les scènes s’enchaînent rapidement. Le fait que les Indices ne soient pas détaillés et doivent être ajoutés dans la fiction de manière libre, et sans être trop creusés par la suite, est très agréable pour le meneur. Ainsi, par exemple, l’indice “Une pomme à moitié mâchée” (qui n’existe pas à ma connaissance dans une des menaces, c’est un pur exemple) peut être interprété de manière très libre. Cela nécessite un peu d’improvisation pour le MJ bien sûr, mais cela permet également de cadrer des scènes rapidement, où on peut s'appesantir sur les personnages, leurs relations avec les PNJs puis lancer un jet, découvrir un indice, et finir la scène.
Les joueureuses savent toutes qu’il n’y a pas vraiment plus d’informations à trouver, et donc les scènes s’enchaînent, mettant les personnages au cœur de l’action, puisque l’important n’est pas tant ce qu’ils ont découvert, mais comment ils l’ont découvert. Ainsi, inutile de chercher plus loin sur le type de pomme, la forme de la mâchoire etc, puisque cela devra être créé dans la phase de résolution où les joueureuses essaient de faire coller un maximum d’indices à une histoire qu’iels co-créent avant de lancer les dés et voir s’iels ont raison.
Comme le présupposait Gherhartd, je trouve que cette phase est la moins intéressante côté MJ, puisqu’il n’y a rien à faire. Cela étant, elle trouve plus de sens quand on enchaîne plusieurs fois la même menace : la comparaison entre les histoires racontées est d’autant plus savoureuse, quand les indices sont différents, ou identiques.

Et pour l’enquête ?

Et bien je me tâte à exporter tout ou partie de cela dans de vrais jeux d’enquête. L’enquête repose beaucoup habituellement sur le player skill de la joueureuse, et même si j’apprécie parfois cela, j’avoue que cela me pèse souvent. D’autant qu’on pourrait fortement discuter de la notion même de player skill et d’enquête...
Il est possible que je garde l’idée globale d’un jet d’enquête un peu générique permettant d’obtenir des informations précises sous forme de post-it, et ce même dans les enquêtes plus “traditionnelles”. L’idée serait alors d’avoir des indices suffisamment précis et clairs pour qu’ils ne puissent pas être soumis vraiment à une interprétation et mettent les éléments clés au milieu de la table : plusieurs indices à trouver, clairement identifiés. Pas de jet de dés final pour savoir si l’histoire imaginée est vraie ou fausse, mais avec tous les indices clairement identifiés, l’enquête me semblera plus claire pour toutes et tous.
Mes parties de test m’ont également réconcilié avec l’idée de l’enquête : Cela peut être un jeu à part entière, mais ce n’est pas une obligation. Comme je le souhaitais, l’enquête peut également être un autre support pour mettre les PJs en valeur, montrer comment ils se comportent dans l’univers de jeu, et montrer l’univers de jeu comme par transparence.

Au final des parties très agréables, très intéressantes, et un jeu plein de saveurs spécifiques, que je vous encourage à tester ! Et si vous êtes intéressé·e·s, je peux même vous faire tester à l’occasion, n’hésitez pas à me demander !